Les spécificités de la fraude documentaire

  

   Compte tenu de la fréquence d’utilisation du CREDOC dans les opérations commerciales internationales, nous pouvons considérer que le CREDOC est une mécanique « bien huilée ». La seule ombre à ce tableau altérant sa fiabilité réside dans la fraude, comme le souligne M Samuel EPSCHTEIN[1] : « le crédit documentaire n’est pas plus efficace que les chambre fortes ne le sont contre les cambrioleurs qualifiés et imaginatifs ».

     Lorsqu’elle est découverte par les banques à temps, la fraude ne constitue pas en soi un danger, puisque ces dernières bloqueront le paiement au bénéficiaire. Monsieur Khaled KAWAN estime à juste titre d’ailleurs que la fraude «  a été, de tout temps, une réalité malheureuse du commerce ».[2]

     Seulement, ce qui constitue un réel danger, c’est son développement ces dernières années et l’insécurité grandissante qui s’attache désormais à une technique qui avait pour avantage d’offrir une sécurité et une fiabilité à ces utilisateurs. La confiance entre les différents opérateurs commerciaux internationaux risque ainsi de s’estomper, les faisant ainsi renoncer à utiliser le Credoc dans leurs opérations.

     L’association CREDIMPEX[3] a organisé un colloque le 9 juin 1989 et est arrivée à la constatation que « l’écrasante majorité des documents remis aux banques…comportent des irrégularités lors de la première présentation et que dans un nombre grandissant de cas, ces irrégularités sont liées à une tentative de fraude de la parts des opérateurs commerciaux ».

   L’importance de ce constat réside principalement dans le fait que parmi les documents remis aux banques on trouve le connaissement qui, rappelons le, est représentatif de la marchandise et donc constitue la marchandise elle-même.

     La notion de fraude n’est par pour autant une notion homogène. Elle peut, en effet, revêtir diverses formes allant de la simple falsification des documents à l’émission pure et simple de faux actes accréditifs. Par ailleurs et en plus de la difficulté de définition due aux diverses formes utilisées, il n’est pas aisé de distinguer clairement entre la mauvaise exécution du contrat commercial et la fraude documentaire.

     En application de l’adage « Fraus omnia corrumpit », «  la fraude corrompt tout », la conséquence directe de la découverte de la fraude sera donc de bloquer l’exécution de l’engagement bancaire. Cette règle ne sera bien entendu appliquée que lorsque la fraude relevée sera liée à la relation bancaire et non pas simplement à l’exécution du contrat commercial objet de l’ouverture du CREDOC.

     Par opposition à cette règle, il est à souligner qu’un courant doctrinal, se développant actuellement, n’hésite pas appliquer ce principe en rattachant la notion de fraude carrément au contrat de base.

     Nous analyserons successivement dans cette section les caractéristiques principales de la fraude, les conditions de mise en œuvre de l’exception de fraude et enfin ses effets sur les rapports financiers existants entre le donneur d’ordre, le banquier et le bénéficiaire ainsi que les effets sur le contrat commercial maritime international, le tout en appuyant notre analyse par les solutions jurisprudentielles appliquées en la matière.

     Sous section 1 : Les éléments caractéristiques de la fraude documentaire

     Que ce soit dans la pratique[4] ou dans la jurisprudence, une distinction très nette est établie entre deux types de fraudes, la fraude matérielle et la fraude intellectuelle. C’est ce que nous analyserons dans un paragraphe premier. Nous évoquerons dans un second paragraphe les problèmes qui peuvent se poser lors de la caractérisation de la fraude.

Paragraphe 1 : La nature de la fraude

a-     La fraude matérielle

         La fraude matérielle peut être définie comme étant celle ou les documents présentés à la banque émettrice sont des créations pures et simples de leur auteur sans qu’aucun fondement légal ne vienne en légitimer la création.

         En pratique, il peut s’agir, dans la cadre d’une vente maritime, de l’émission d’un connaissement, non pas par le transporteur mais par le bénéficiaire lui-même, ou la présentation de faux certificats sanitaires ou phytosanitaires, lorsque ces derniers font partie des conditions expressément stipulées dans la lettre d’ouverture du crédit et que le vendeur sait pertinemment qu’il ne pourra les obtenir du fait de l’état défectueux de la marchandise.

         Dans un tel cas, les documents présentés aux guichets de la banque remettante, puis émettrice, sont des documents sans aucune valeur juridique car totalement apocryphes, puisqu’ils n’ont pas été établis par les personnes habilitées à le faire : le connaissement maritime par le transporteur ou le transitaire, les certificats par une société de contrôle…

b-     La fraude intellectuelle

         Le caractère intellectuel dans ce type de fraude réside dans la fait que les documents présentés sont bien émis par les personnes habilités à le faire, mais leur contenu a été falsifié ou comportent des indications qui ne sont pas sincères et auront pu tromper la vigilance de leur auteur.

         Ce pourrait être le cas d’un transporteur délivrant un connaissement maritime pour des conteneurs supposés contenir plusieurs milliers d’appareils ménagers en bon état de fonctionnement alors que ceux-ci ne sont, en réalité, chargés que d’appareils ménagers défectueux.

           La fraude intellectuelle concerne donc des documents comportant de fausses indications de nature à tromper la vigilance de la banque. Il y a un défaut de sincérité dans les indications portées sur les documents.

           Sur le plan jurisprudentiel, les tribunaux Français, Marocains et d’autres (Canadiens) ont rendu un très grand nombre de sentences en matière de fraude intellectuelle. Il a pu arriver que la quantité de marchandise embarquée ne corresponde pas à celle qui a été mentionnée sur le connaissement délivré[5]. Dans un autre cas, la cargaison livrée ne correspondait pas à celle prétendument livrée[6][7]. Dans un troisième encore, le prix de facturation s’avère supérieur à celui initialement convenu[8]. Il peut également s’agir également d’un connaissement portant une date inexacte alors que la date véritable est postérieure à l’expiration du crédit[9]. Ces techniques de fraudes intellectuelles seront analysées plus exhaustivement dans la section réservée à la fraude au connaissement.

           Un cas de fraude historique : Certains opérateurs désinvoltes et dotés d’une grande imagination on monté des stratagèmes extravagants pour aboutir à leur fins. Le cas d’Emil SAVUNDRA mérite d’être rappelé :

           En 1950, Emil SAVUNDRA intervient en tant qu’intermédiaire dans un contrat de fourniture de 45.000 fûts de lubrifiant au gouvernement chinois. La vente se réalisant sous condition C.I.F au prix de 1.230.000US $. Le chargement eu lieu, soit disant, lieu en Janvier 1951 sur un navire battant pavillon suédois. Les documents remis à la banque montrèrent que les transporteurs étaient basés à Marseille.

           Fort de la présentation d’un connaissement, d’une licence d’exportation, de certificats d’analyse divers et d’un certificat de vérification de la Lloyd’s, paiement fut réalisé en Suisse. La suite des événements prouva que ni le navire, ni les transporteurs Français, ni la cargaison n’avaient jamais existé. Par ailleurs, l’exportation de pétrole vers la chine était, à l’époque prohibée….interdisant ainsi tout recours au gouvernement chinois. Nemo auditour propriam turpitudinem allegans…

             Un autre de cas d’école, celui du SALEM sera évoqué dans la section réservée à la fraude au connaissement.

                Paragraphe 2 : La problématique de la fraude

           L’aspect formaliste du crédit documentaire implique que la fraude documentaire se doit d’être, avant toute autre chose, documentaire. Cela veut dire que l’acte frauduleux doit ressortir uniquement des documents. Dans tous les cas, il y a fraude du défaut de sincérité des documents présentés.

           Or, dans la pratique, le lien entre les documents et l’exécution du contrat de base est indéniable. Seulement, la fraude reste purement liée à sa base documentaire et n’est jamais analysée comme une mauvaise exécution du contrat commercial.

           En conséquence, ce qui est incriminé lorsqu’au débarquement l’acheteur s’aperçoit que les marchandises livrées ne correspondent en rien à ce qu’il avait initialement commandé, ce n’est pas le défaut d’exécution du contrat de vente mais le fait que la banque s’est vue présenter des documents portant forcément des mentions fausses, puisque donnant l’illusion que la cargaison embarquée correspondait bien à celle effectivement commandée.

             Pourtant, le fraude ne peut être empêchée, et donc, par voie de conséquence, la mauvaise exécution du contrat de vente évitée, à moins que celle ci n’ai été découverte avant l’exécution de la convention du crédit par le banquier confirmateur. En effet, une fois cette étape passée, le banquier émetteur du crédit est tenu de couvrir la banque correspondante. Lorsque cette dernière a procédé au paiement au vu de documents apocryphes mais présentant des apparences de vérité, il est trop tard.

             Le banquier confirmateur qui paye dans un tel cas ne peut se voir tenu pour responsable de son erreur, même lorsque la falsification est établie par la suite[10], interdisant ainsi toutes les possibilités de recours du banquier émetteur.

             Par ailleurs, une action directe du donneur d’ordre contre le bénéficiaire demeure tout à fait illusoire compte tenu de la nature internationale de la relation contractuelle.

             Il s’avère donc indispensable d’agir rapidement et lorsque interdiction de payer est ordonnée par voie judiciaire à la banque, celle-ci se verrait obligée de rembourser le donneur d’ordre si elle passait outre.

             A ce titre, plusieurs ordonnances en référé ont été rendues par le président du tribunal de commerce de Casablanca[11][12], bloquant ainsi le paiement par la banque émettrice, dés qu’elle a été informée par son donneur d’ordre de la non conformité de la marchandise à ce qui a été stipulé dans la lettre de crédit, le président, dans ce cas a considéré que ceci constituait un cas de fraude.

             D’autres arrêts de la cour d’appel de Casablanca ont précédemment adopté cette position jurisprudentielle[13].[14]

             Toute la problématique va être donc de détecter rapidement la fraude. Le principe Fraus Omnia Corrumpit ne va être mis en œuvre qu’à partir des documents remis à la banque. Or cette solution est peu praticable car les chances de détection de la fraude y sont très réduites. En effet, si la fraude peut et doit uniquement être détectée à partir de l’analyse des documents, il n’y a plus de raison de recourir à la notion de fraude puisque les banques ont pour rôle, justement, de contrôler ces documents.

             Rattacher, au contraire, le principe à la mauvaise exécution du contrat commercial permettrait aux banques, de se retrancher derrière l’article 5 des RUU 600, (révision 2007) édictant que les crédits se réalisent à L’exclusion des marchandises, services ou autres prestations.

           Nous constatons donc que le principe de la séparation du contrat de crédit et du contrat de vente[15], principe qui faisait toute la force du mécanisme dans le cadre de la protection des intérêts des parties, devient sa principale faiblesse dans la lutte contre la fraude. Seule la constatation de la mauvaise ou l’absence d’exécution du contrat commercial permettra de déceler la fraude, et ce n’est justement pas là un argument de nature à empêcher le paiement par la banque.

             Comme nous l’avons évoqué plus haut, la jurisprudence (en l’occurrence Marocaine et comme nous allons le voir avant elle la jurisprudence Française), semble avoir trouvé une solution face à cet inextricable problème. C’est le développement du principe autonome d’illicéité intrinsèque des documents.

             Entre le document altéré dans sa substance par son auteur (faux intellectuel) ou le faux créé de toute pièce (faux matériel), subsiste un lien commun : aucun d’eux ne reflète la réalité. Chacun tend à cacher aux yeux du banquier une mauvaise exécution du contrat commercial sous-jacent.

             Il est certain que la fraude ne doit pas être confondue, sous peine de ruiner le crédit, avec l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat de base. Une fraude dans le contrat commercial pourrait ne pas être une fraude documentaire. Mais le défaut de sincérité d’un document constitue une altération de la réalité dont la connaissance par le banquier aurait pu le mener à rejeter les documents.

             Dans ce sens, pour reprendre les termes de M. Khaled KAWAN dans son article[16] : Commise au niveau du contrat de base, la fraude affecte par une sorte d’irrigation le crédit. Son irrégularité rejaillit nécessairement sur les documents emportant leur irrégularité.

         Cette position a été très rapidement adoptée par la jurisprudence Française. Dans un des arrêts de la cour de cassation en date du 7 Avril 1987, il est énoncé dans une affaire ou seuls 580 articles étaient livrés alors que le crédit documentaire en couvrait 5080, que pour « bénéficier du crédit, le bénéficiaire avait déposé des documents mentionnant faussement la livraison d’une quantité de marchandise supérieure à celle expédiée ».

           Cet arrêt reprend les conclusions tirées d’une affaire jugée par la chambre commerciale en date du 4 Mars 1953 où, dans une affaire relative à des montres suisses, les juges ont reconnus pour la première fois l’application de la règle Fraus omnia corrumpit en soulignant que la fraude faisait obstacle aux règles de droit les plus certaines[17].

           Le donneur d’ordre, peut toutefois agir sur le fondement unique d’une fraude documentaire. Un arrêt en date du 14 Octobre 1981 va d’ailleurs dans ce sens, la cour retenant en la matière que « l’indépendance du crédit documentaire vis-à-vis du contrat de base lui inculque une autonomie propre ».

           En synthèse, nous avons remarqué combien il était délicat de tracer une frontière entre la mauvaise ou l’absence d’exécution du contrat commercial et la constitution de fraude. C’est en finalité l’appréciation du juge qui tranche en la matière.

           Il conviendrait à présent d’analyser les modalités de mise en œuvre de la fraude documentaire.

       Sous section 2 : Les modalités de mise en œuvre de la fraude documentaire

       Il existe deux conceptions relatives à la fraude documentaire : la conception objective et la conception subjective.

              Paragraphe 1 : La conception objective de la fraude

       Dans la conception objective, il y a lieu de distinguer entre la fraude vraisemblable et la fraude manifeste. Pour que la fraude puisse faire obstacle au paiement encore faut-il qu’elle soit manifeste. Cette règle paraît logique si l’on se réfère à ce qui vient d’être développé plus haut. Comme nous l’avons précédemment souligné, le principe de base du crédit documentaire est l’assurance pour le vendeur d’être payé une fois que les documents présentés par lui ont été régulièrement levés par la banque. L’engagement dont il bénéficie est direct et personnel vis-à-vis de celle-ci. Le donneur d’ordre, fut il lésé dans l’exécution du contrat de vente, ne doit pas pouvoir intervenir sans un motif établi avec certitude.

       Il résulte donc de cette distinction que la preuve de la fraude doit être rapportée par celui qui l’invoque. La jurisprudence est ferme sur ce point[18]. Une simple allégation de la part du donneur d’ordre n’est pas suffisante pour que la fraude soit établie. En d’autres termes, la fraude simplement vraisemblable n’est pas constitutive de fraude.

       L’objectif de la mise en œuvre de l’exception de fraude est, dans la majorité des cas, d’obtenir du juge une ordonnance de saisie-arrêt concernant les sommes affectées au paiement ou que soit interdit à la banque de procéder à celui-ci. Cela ne veut pas dire que l’intervention judiciaire est systématiquement requise, le banquier peut refuser ce paiement lorsque la fraude est manifeste[19]. Dans ce cas, la banque qui s’obstinerait à vouloir payer le crédit pourrait engager sa propre responsabilité[20].

       Cette situation va connaître des évolutions différentes selon que la banque correspondante est une banque simplement notificatrice du crédit ou selon qu’elle a confirmé ce dernier. Dans le premier cas, la banque correspondante ne fait que notifier le crédit, elle est donc simple mandataire de la banque émettrice, elle devra se cantonner au respect des instructions données par cette dernière. Dans le deuxième cas par contre, si la banque est confirmatrice, elle a engagement de payer, la banque émettrice devra donc lui faire parvenir les preuves formelles de nature à établir la fraude.

            Cependant, la banque ne pourra refuser le paiement du prix au vendeur lorsqu’un doute est permis entre une fraude potentielle et une fraude caractérisée. La fraude doit être évidente. Ainsi, le banquier doit assurer un contrôle raisonnable pour n’avoir d’autre alternative que de considérer le document comme faux.

       L’arrêt de la cour de cassation du 7 avril 1987 rendu entre la société « Jeux et images » et la société « GEM » démontre que le caractère frauduleux du document était établi par un constat d’huissier attestant de la différence entre la réalité des faits et les mentions portées sur le document incriminé (dans le cas d’espèce une facture commerciale). La fraude est en conséquence manifeste.

       La jurisprudence Marocaine adopte dans la majorité des cas cette conception formaliste. Ainsi, dans une ordonnance du président du tribunal de 1ère instance de Casablanca Anfa[21], le juge a estimé que sur la base des courriers et fax échangés entre le donneur d’ordre et le vendeur, prouvant l’existence de vices importants sur les tissus, objets de l’ouverture du crédit documentaire, constituait une fraude interdisant le paiement du crédit au vendeur. Aussi dans une autre ordonnance[22] rendue cette fois par la président du tribunal de commerce de Casablanca, il a été établi que la non concordance entre la marchandise stipulée dans la lettre de crédit et la marchandise réellement expédiée, constituait un cas de fraude manifeste, justifiant ainsi l’interdiction de payer le vendeur, jusqu’à ce qu’un jugement au fonds intervienne entre les parties.

           Dans ce sens, la cour suprême Marocaine a rejeté en date du 14/11/2001 un pourvoi en cassation d’un arrêt de la cour d’appel de commerce de Casablanca en date du 8/10/1999 ayant confirmé une ordonnance de saisie-arrêt relative au paiement d’un crédit documentaire, au motif que la fraude était manifeste (non-conformité de la marchandise : des machines neuves pour l’industrie de bois, au nombre de 13, alors que les machines arrivées au port de Casablanca étaient usées, au nombre de 23 et n’avaient aucun rapport utilitaire avec l’industrie du bois.)[23]

           L’attitude adoptée par la jurisprudence Marocaine repose sur le fait qu’au Maroc, les statistique officielles indiquent que la moitié des importations se font par le biais du crédit documentaire, il est donc nécessaire de protéger les petites et moyennes entreprises importatrices, afin de maintenir un équilibre de compétitivité internationale.

            Paragraphe 2 : La conception subjective : l’implication du bénéficiaire dans  la fraude

a- Un courant doctrinal en expansion

         Comme dans le cas des éléments constitutifs de l’infraction pénale, l’élément intentionnel joue un grand rôle en matière de fraude. Selon un courant doctrinal assez développé, l’identité de l’auteur agirait comme un élément déterminant de l’exception de fraude. Le vendeur, bénéficiaire du crédit, ne pourrait être exclu de son droit à paiement lorsque l’altération des documents est le fait d’un tiers sans qu’il ne soit au courant. La mise en œuvre de l’exception semble donc impliquer l’existence d’un élément intentionnel de la part du bénéficiaire.

         En matière de jurisprudence, un arrêt de la cour d’Anvers, concernant des connaissements antidatés a estimé que le donneur d’ordre ne pouvait interdire le paiement du crédit en faveur d’un bénéficiaire de bonne foi[24]. Cette solution est discutable, sachant que c’est généralement le vendeur, lui-même, qui va choisir ses partenaires (transporteur ou transitaires de transport).

         Il serait intéressant de reprendre l’analyse de Monsieur Caprioli[25]concernant cet arrêt belge qui démontre la fragilité de la position de la jurisprudence en la matière.

       « Un crédit confirmé par une banque belge, payable à 180 jours de la date du connaissement, a été ouvert par une banque de Dubaï. Les faux connaissements attestaient deux embarquements des marchandises, les 30 octobre et 3 novembre 1980. En vérité, les marchandises ont été embarquées au plus tôt le 1er décembre 1980 et elles ont été débarquées à Chypre. Les banques confirmatrice et émettrice ont levé des documents apparemment réguliers en la forme. En l’espèce, le commissionnaire, expéditeur de l’exportateur avait fait établir les connaissements contre une lettre de garantie au profit de l’agence maritime. L’acheteur a assigné l’agence maritime et la banque belge en saisissant le tribunal d’Anvers pour demander au juge l’interdiction de payer le crédit. Celui-ci rejette la requête dans son ordonnance au motif que l’indépendance du crédit documentaire implique l’engagement direct de la banque qui a levé les documents. La cour confirme la solution, après avoir relevé la pratique répréhensible de l’antidate, en précisant que rien ne permet d’établir que le vendeur a commis une faute ».

           Il est évident que cette solution des juges flamands ne fait pas l’unanimité.

     Il ressort donc de cette position que si le bénéficiaire n’est pas directement impliqué dans la tentative de fraude, il va pouvoir en tirer les fruits sans en subir les conséquences alors que l’acheteur ou le banquier se trouveront lésés. Cette solution est très discutable, sachant, comme nous l’avons souligné que c’est le vendeur lui-même qui en général choisit librement ses partenaires.

[1]           Dans revue banque N°373, Mai 1978, p. 587

[2]           KAWAN Khaled, La fraude dans le crédit documentaire, confusion ou cohésion ? RDAI/IBLJ, N° 6, 1991

[3]           Association regroupant les praticiens du crédit documentaire travaillant dans des banques

[4]           JASINSKI Pierre, Prolifération de l’irrégularité dans le crédit documentaire, Revue banque,         N° 500, Déc 1989

[5]           Cour d’appel d’Aix en Provence, 28/01/1988, D 1989 P197 note VASSEUR

[6]           Cour de cassation 7 Avril 1987, Banque 1987 P285 note RIVES-LANGES

[7]           Arrêt de la cour d’appel de commerce de Casablanca, 29/10/1998 N°98/286

[8]           Cour suprême du Canada, 5 Mars 1987 D 1988 P 186 note VASSEUR

[9]           Cour d’appel d’Agen, 27 Juin 1988, D 1990 P179 note VASSEUR

[10]          RUU Article 17

[11]          Ordonnance en référé rendu par le président du tribunal de Casablanca 17/09/1998 N°469/98

[12]          Ordonnance en référé rendu par le président du tribunal de Casablanca 18/12/2000 N°2000/3268 AFF Société PROFIBO/ BANQUE COMMERCIALE DU MAROC

[13]          Arrêt de la cour d’appel de Casablanca ,22/09/1992, Dossier commercial, N° 998/94

[14]          Arrêt de la cour d’appel de Casablanca, N°1587, 21/10/1978

[15]          JASINSKI Pierre, Le principe de la séparation des documents et de la marchandise, Revue banque, N° 447, Novembre 1987

[16]          Fraude dans le crédit documentaire, RDA/IBLJ, N°6, 1991, P802

[17]          Cass. Comm, 4 Mars 1953, S1954 1P121-126, note LESCOT P.

[18]          Cour de cassation, chambre commerciale, 29 Novembre 1994, n°2212-D

[19]          Arrêt de la cour d’appel d’Agen, 27 Juin 1988 D.1990, som., P179 obs., Vasseur

[20]          Cour d’appel de Colmar, 14 Juin 1985

[21]          Ordonnance en référé, Tribunal de 1ère instance Casa Anfa, Doss. 512/94, 10 Février 1994

[22]          Ordonnance en référé, Tribunal de commerce de Casablanca, 3268/2000, 18 Décembre 2000

[23]             Cour suprême 14/11/2001, Aff. Banque populaire de Casablanca/ Société SINOMAR industrie, Arrêt N°2230, Dossier commercial N°99/1/3/1361.

[24]          J.D.A.I. 1985, P386. Anvers, 23 Septembre 1981

[25]          CAPRIOLI Éric, ouvr. cité

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